La vision fondatrice
Premièrement : Les œuvres encyclopédiques dans l’héritage islamique
- Les thèmes lexicaux de l’héritage islamique
Dans l’héritage islamique, les « encyclopédies » ont d’abord été associées à des thèmes linguistiques, car, depuis le IIe siècle de l’Hégire, les érudits ont eu tendance à cerner le vocabulaire de la langue et à déterminer ses structures et ses significations, c’est ainsi que des ouvrages lexicaux sont apparus, tels que : Kitab al-Ayn (Le livre source) de Khalil ibn Ahmad al-Farahidi (175 AH), le livre al-Jim (de la lette J) de Abu Amr al-Shaibani (206 AH), Jamhrat al-Logha (La collection du langage) par Ibn Duraid (321 AH), et le dictionnaire Asas al-Balagha (Le fondement de l’éloquence) d’al- Zamakhshari, qualifié de précieux et innovant dans la construction et l’objectif visé par le traitement du vocabulaire contenu.
Cela a été suivi par l’émergence de grands dictionnaires et d’encyclopédies générales, qui différaient par leurs thèmes et leurs objectifs des dictionnaires de la langue. Les disciplines se sont élargies pour inclure la littérature, l’histoire, la géographie et la pensée. Les auteurs de ces encyclopédies travaillaient individuellement, chacun d’eux pouvait passer de nombreuses années à assembler toutes les informations qu’il pouvait atteindre, et à résumer toutes les connaissances qu’il acquérait, en fournissant des analyses approfondies si nécessaire, et en apportant des clarifications, des contextes historiques, des personnalités influentes, des ouvrages de référence et des conventions terminologiques des érudits.
Certains historiens (Brockelmann, à titre d’exemple) mentionnent que cette forme de l’encyclopédisme arabe a connu ses débuts à la fin du IVe siècle de l’Hégire avec l’apparition de l’ouvrage Mafatih al-ulum (Les Clés des Sciences) d’al-Khwarizmi (mort en : 387 AH / 997 ap. J.-C.). Cependant, cette position n’est pas tout à fait exacte, car l’écriture encyclopédique est née près d’un siècle avant l’ère d’Al-Khwarizmi. Nous en évoquons – par exemple – d’importants ouvrages encyclopédiques d’Ibn Qutayba al-Dinawari (mort en : 276 AH / 889 ap. J.-C.) et d’Ibn Abd Rabbih al-Andaloussi (mort en : 328 AH). Le premier avait excellé dans l’écrit encyclopédique, et avait rédigé Kitab al-Maaref (Le Livre des connaissances), révélant dans son introduction que l’ouvrage renfermait de nombreuses disciplines de la connaissance : en premier l’origine de la création et les biographies des Prophètes, puis, la tradition du Messager d’Allah – paix et bénédiction d’Allah soient sur lui-, les mosquées réputées, et enfin l’histoire des expansions islamiques. Quant à son autre remarquable encyclopédie, il l’avait intitulée Uyun al-Akhbar (Les Sources des informations). Dans son premier chapitre Kitab al-Soultan (Le livre du sultan), il avait réuni des textes, des chroniques, des correspondances, des consultations et des conseils, tous au cœur de la discipline politique. L’encyclopédie, devenue une référence pour les successeurs qui ont écrit sur les décrets sultanesques et la politique religieuse, révèle une conception profonde des débuts de la pensée politique, de ses sources les plus importantes et des étapes de son évolution au cours des premiers siècles islamiques.
Ibn Abd Rabbihi al-Andaloussi (mort en : 328 AH), a également adopté la même approche, et a rédigé Al-Iqd al-Farid (Le collier unique), qui fait partie des principales sources imprimées de connaissances. Bien qu’elle soit considérée comme l’une des encyclopédies généralistes, et malgré le grand intérêt porté par l’auteur pour les anthologies poétiques et les poèmes en prose, on y retrouve que le premier chapitre invoque le sultan et les guerres, alors que certains autres chapitres retracent l’histoire des califes, des gouverneurs et des écrivains, et évoquent la bonne politique et l’établissement du royaume, ce qui en fait dans son ensemble, un corpus politique qui apporte un tas considérable et varié de détails qui peuvent enrichir d’autres œuvres politiques.
- Les encyclopédies des sciences
Si les trois premiers siècles de la civilisation islamique ont été caractérisés par des dictionnaires de langue et des encyclopédies générales, le IVe siècle de l’Hégire a été marqué par l’émergence d’un autre genre de recherche encyclopédique, les « encyclopédies des sciences ». Mohammed ibn Ahmed ibn Yousef al-Khawarizmi (mort en 387 AH) a été le premier à initier cette approche, puis d’autres érudits ont suivi son approche ou presque, comme al-Sakaki, al-Jarjani, Tash Kobri Zadah (mort en : 962 AH), Haji Khalifa (mort en : 1067 AH), et al-Tahanoni.
Al-Khwarizmi explique dans l’introduction de son ouvrage Mafatih al-ulum (Les Clés des Sciences), que l’objectif de l’ouvrage est d’être « Une compilation des clés de la science et des premières industries, comprenant, d’une période historique d’érudits à l’autre, les positions et les conventions terminologiques non inclus dans la plupart des livres de linguistique, de sorte que si le linguiste éminent en littérature examine l’un des ouvrages écrits en science et sagesse, sans en être compétent, il n’y appréhendera rien » . Al-Khwarizmi a consacré le premier volume de son encyclopédie aux sciences religieuses (islamiques) et le deuxième aux sciences des grecques et des autres nations, mais il n’a abordé la jurisprudence politique dans aucun desdits volumes.
Les “Encyclopédies des sciences” relevant de la civilisation islamique ne peuvent être évoqués sans faire référence à Rasa’il Ikhwan al-Safa wa Khillan al-Wafa (Les Épîtres des frères en pureté et des compagnons en fidélité ” (Xe siècle), ou à Kitab Nihayat al-Arab fi Founoun al-Adab (La fin aspirée en arts de littérature) par al-Nowairi (1272-1332 AH), cette dernière étant une énorme encyclopédie couvrant toutes les Sciences. Cependant, elle se distingue par une grande partie consacrée à la jurisprudence politique islamique, la 5ème partie, qui renferme une matière assez importante répartie sur les titres suivants : Le souverain, conditions, exigences, et droits auprès des personnes placées sous sa direction ; Les ministres, les commandants d’armées, les descriptions des armes, les gouverneurs religieux, les écrivains et rhéteurs, il en contient donc quatorze chapitres.
Notons que ces chapitres ont repris tout l’héritage des précédents dans le domaine de la jurisprudence politique, (tels al-Mawardi et Abu Ya’la al-Fara’), en y apportant de nombreux compléments. De plus, cette encyclopédie est caractérisée par un récit détaillé de l’histoire des royaumes islamiques.
Il convient de noter que l’origine de la matière politique serait née d’abord dans les ouvrages des juristes qui y consacraient, en général, un chapitre dédié à l’Imâmat (le commandement), dans lequel ils en rappelaient la définition et les clauses. Puis, certains d’entre eux avaient commencé à en allouer des recherches indépendantes, marquant ainsi l’arrivée des ouvrages des philosophes, en particulier ceux d’al-Farabi (mort en : 339 AH / 950 ap. J.-C.) et d’Avicenne (Ibn Sina) (mort en : 428 AH). Cependant, ces ouvrages étaient plus préoccupés à expliquer et à commenter les travaux des philosophes grecs qu’aux enjeux de la pensée islamique, incitant ainsi d’autres intellectuels et juristes à se lancer dans ce travail, et donc, à partir du Ve siècle de l’Hégire, des ouvrages de décrets sultanesques et de gouvernorats religieux sont apparus, il s’agit d’un ensemble d’ouvrages complètement dédiés aux thèmes de la politique islamique, où l’auteur réunissait toutes les dispositions religieuses liées aux questions de l’imâmat, de la Bay’â (le serment d’allégeance) et ses piliers, puis rattachait ce qu’il pensait convenable des états des souverains, des sultans, des ministres et des juges. Les écrits d’al-Mawardi (mort en : 450 AH), d’Abu Ya’la al-Fara’, d’al-Jowaini, d’al-Ghazali, d’Ibn Taymiyyah, d’Ibn Khaldoun et d’autres ont alors émergé dans ce sens.
Il ressort clairement de cette brève narration que les ouvrages de l’héritage islamique abondaient de politique et de ses enjeux, mais que la matière était dispersée entre les ouvrages de jurisprudence, les encyclopédies générales (littéraires et historiques), les ouvrages des décrets sultanesques, et les ouvrages des philosophes, des sectes et de écoles d’interprétation. Bien que de nombreuses encyclopédies sur les « sciences » ont émergé, aucune encyclopédie complète de jurisprudence politique islamique n’est encore apparue, ce qui rend urgente la nécessité de ce genre de paternité, qui se focalisera sur une et unique science.
Deuxièmement : L’encyclopédie de la jurisprudence politique islamique
Thème, objectifs et avantages :
- Les objectifs de l’encyclopédie :
Il règne parmi les lecteurs un profond sentiment que la bibliothèque islamique manque d’un ouvrage complet sur la jurisprudence politique islamique, qui réunirait ce qui est éparpillé dans les différentes sources et les ouvrages de l’héritage, à commencer par les ouvrages de jurisprudence et les biographies, passant par ceux de l’histoire, aboutissant aux grandes encyclopédies, qui comprennent, outre la jurisprudence politique, des sciences très diverses. Nous avons voulu par cette encyclopédie combler ce vide en créant un ouvrage complet qui serait une référence dans ce domaine, dans lequel nous inclurons tout ce à quoi un chercheur peut aspirer dans les sources de la pensée politique islamique.
Il va sans dire que cette encyclopédie ne vise pas des objectifs partisans ou sectaires, autant qu’elle recherche à renforcer les capacités scientifiques des chercheurs issus de différents horizons intellectuels, guidée ainsi par les propos de Boutros al-Boustani d’il y a un siècle et demi dans l’introduction de son encyclopédie, où il exprime que la base de la création d’une encyclopédie est « l’absence totale de la fin personnelle, et l’évitement de la partialité, de sorte que l’encyclopédie soit un ouvrage général dédiée à toutes les doctrines et les sectes, dont bénéficient aussi bien ceux qui ne possèdent pas de livre, que ceux qui en possèdent.
- Les thèmes de l’encyclopédie et sa caractéristique préférentielle :
Les propriétaires des encyclopédies générales avaient l’usage d’énumérer les sciences et les arts et les classer en sciences divines et philosophiques, puis en sciences civiles, politiques, historiques, jusqu’aboutir aux sciences de la machine et de la nature, puis la littérature et les œuvres (exemple suivi par Ibn Qutayba et Ibn Abd Rabbihi à l’époque, et par al-Boustani récemment).
Par ailleurs, cette encyclopédie ne se consacre qu’à un seul domaine de connaissance qu’elle ne devancera pas : Le domaine de la pensée politique islamique ; Elle cherche ainsi à compiler et à analyser la matière et les questions de la jurisprudence politique dans l’héritage islamique, que cette matière soit contenue dans le Coran et la Sunna, dans les œuvres jurisprudentiels des imams et des sectes, les ouvrages des décrets sultanesques, les correspondances, ou dans les institutions.
L’encyclopédie vise à se distinguer de ses devanciers par les éléments suivants :
Se limiter à un seul domaine des sciences islamiques.
- L’originalité des thèmes et l’évitement de la répétition et de la rumination
- L’adéquation de la matière et son interaction avec la production scientifique contemporaine
- La clarté de la méthode et la rigueur de la structure de la recherche
- Le séquencement logique des arguments et de la narration
- La prise en compte de la dimension universelle contemporaine
- La prise en compte des enjeux de la femme, des minorités et de la société civile
- L’alliance entre sources traditionnelles et contemporaines
3 –La méthode adoptée par l’encyclopédie
1. A la différence des ouvrages précédents, l’encyclopédie, adopte l’approche de la paternité collective, qui repose principalement sur trois groupes :
- Les auteurs : Il s’agit d’un groupe de chercheurs compétents, distingué par la pluridisciplinarité.
- Les éditeurs : Il s’agit d’un groupe dédié à la relecture linguistique, le séquençage de la matière, la vérification de la clarté du style et par des travaux similaires d’édition.
- Les correcteurs : c’est le groupe à qui est confié le processus d’arbitrage, d’évaluation et d’examen rigoureux de l’exactitude des informations, de la justesse de la logique et du respect de la méthode scientifique.
2. L’encyclopédie se base sur la collection des faits et des informations liés à la pensée politique islamique, écrits par les érudits antécédents dans leurs ouvrages déjà publiés (ou dans les manuscrits), ou traités par les modernistes par addition, critique ou rectification.
3. Le recours de l’encyclopédie à ces ouvrages, patrimoniaux et contemporains, ne signifie pas le simple fait de transmettre, résumer et traduire, mais comprend aussi de nombreux commentaires, notes et ajouts nécessaires ou, qui apportent à la matière un caractère contemporain sans abus ni exagération.
4 – L’étendue
L’encyclopédie couvre le thème de la jurisprudence politique allant du premier stade de fondation, au stade de la spécialisation et de la distinction, aboutissant à l’ère contemporaine qui s’étend au milieu du XXe siècle.
5 – Les entrées de l’encyclopédie
Nous aspirons, à travers cette encyclopédie, dont nous passerons en revue les principales entrées, à réaliser un tournant qualitatif dans le cours de l’écriture politique islamique, en raison des informations et des données qu’elle fournira sur la pensée politique islamique, ancienne et contemporaine, comprenant ses diverses doctrines et écoles d’interprétation. Ces données seraient des points de départ à des recherches et des études plus approfondies sur les enjeux de cette pensée et fourniraient également une matière pédagogique solide qui ira au-delà des besoins et des exigences des universitaires ou des lecteurs publics.
a- Définition de l’entrée
L’entrée est un mot-clé qui indique :
- Un concept, un terme ou une institution relevant du domaine de la jurisprudence politique islamique, et bénéficie d’une compréhension collective appropriée parmi les expérimentés dans ce domaine
- Un nom propre d’intellectuel ou de partisan de doctrine
- Un nom de groupe de personnes partisans d’opinions ou de doctrines
- Dans cette encyclopédie, nous adoptons la méthode d’al-Zarkali (mort en : 1396 AH), où il stipulait « que la biographie doit concerner une personne réputée par ses ouvrages, par un califat, un royaume, un émirat, ou un statut supérieur -tel un ministère ou un pouvoir judiciaire- dans lequel il a marqué un impact éminent, ou dans lequel il est distingué par une doctrine, un art, une architecture, une poésie, ou une position fortement mentionnée. »
b- Contenu de l’entrée :
- L’entrée commence par une brève définition du concept étudié, passe ensuite à la clarification des contextes historiques et politiques, puis indique, le cas échéant, la forme institutionnelle acquiescée
- Se concentre sur l’essence et le vif du thème
- Fournit les faits et les idées de base à sens large
- Évite les détails et les digressions, et reste à l’écart du langage émotionnel de nature propagandiste
- Le volume de “l’entrée” varie selon la variété des thèmes. Dans certains cas, on peut se contenter de donner une brève définition de certains concepts, ou de présenter certaines personnalités, tandis que dans d’autres cas le volume de ” l’entrée” peut se développer pour fournir une présentation plus complète du thème objet de l’étude
c – Les principaux thèmes de l’encyclopédie
Les entrées proposées pour cette encyclopédie, qui dépassent les 500, peuvent être classées selon leur contenu en quatre catégories :
- Une première catégorie liée aux thèmes et problématiques politiques majeures qui ont préoccupé les penseurs politiques de l’Islam, tels que la légitimité, la souveraineté et l’imâmat… etc.
- Une deuxième catégorie liée aux noms propres des grandes personnalités qui ont une contribution éminente dans le domaine de la pensée politique, et pour qui la biographie est censée avoir mentionné leurs œuvres politiques, et ce dans quoi ils excellaient, comme Abdel Hamid al-Kateb, al-Jahiz, al -Mawardi, al-Juwayni… etc.
- Une troisième catégorie liée aux sectes et les courants politiques islamiques qui se distinguaient par une orientation politique et sectaire spécifique, tels que les sunnites, les kharijites, les chiites…etc.
- Une quatrième catégorie constituée des concepts politiques majeurs qui préoccupaient les penseurs politiques dans le domaine islamique, tels que le concept de la justice, la charia, les droits, l’opposition… etc.
6 – Les références
- L’encyclopédie est ouverte à toutes les références, la priorité étant donnée à la littérature arabe considérée par les spécialistes comme sources de base de la jurisprudence politique islamique.
- Sans exclure les sources non arabes, la direction de l’encyclopédie estime au contraire qu’il faut en tirer profit, d’autant plus qu’il n’est pas possible à l’ère de l’ouverture culturelle actuelle de se contenter d’une seule langue, ni de se passer des écrits en langues étrangères sur la pensée islamique.
- Le traitement desdites recherches (en citation ou en résumé) doit être clair, documenté et bref.
- La référence aux sources et références originales doit être claire.
- Les ajouts et les opinions personnelles du chercheur (explication ou critique) doivent être clairs, dotés d’équité et évitant le fanatisme.
- L’encyclopédie adopte la méthode des « références croisées », afin d’éviter les répétitions, de sorte que le chercheur se concentre sur un thème spécifique en différant les questions secondaires à d’autres entrées de l’encyclopédie.
7 -La classification :
Les entrées de l’encyclopédie sont classées lexicalement, selon la première lettre de chaque mot; sans prendre en considération le al (l’article défini), nous citons, par exemple : Hisbah, Ministère, Allégeance, au lieu de al Hisbah, Le Ministère, l’Allégeance. Dans le cas des noms propres, les déterminants tels que Abu, Ibn, Walad et al, sont omis, mais le surnom ou la date du décès est établi entre parenthèses, par exemple : Muhammad ibn Jarir (al-Tabari , mort en : 310 AH).
La classification respecte aussi des normes spéciales commodes ; Tels que la priorité chronologique, la fréquence, les références, etc.